Gardien de mes frères: une lettre d’espoir à la jeunesse africaine
Par Laurence Gnaro, Togo
J’ai sûrement oublié de fermer ma fenêtre la nuit dernière. J’ai été réveillée par une brise légère. Une brise à la fois si légère et si lourde pour avoir aspiré en son sein tes soupirs. Je me suis hâtée de la décharger en lui prêtant une oreille attentive. Maintenant que mon âme a touché du doigt les fardeaux de la tienne, je me permets de t’écrire ces quelques mots.
J’imagine combien tu as été effrayé lorsqu’au journal télévisé il y’a une semaine, tu as entendu parler d’explosions, d’attaques terroristes au nord de ton pays. En voyant défiler sur ton écran ces images de corps inertes, tu as tout de suite pensé à Fatou, à Yonna, à Koffi. Tous ces noms qui évoquent des visages comme le tien, comme le mien, comme celui de milliers de jeunes africains ! Oui je sais que tu as eu une soudaine envie qu’il te pousse des ailes pour aller à vol d’oiseau les arracher à la tourmente engendrée par la présence dans leur village de ces hommes armés de mauvaises intentions. Oh je sais combien de nuits blanches tu as passé à te retourner sur ta natte et à compter les étoiles à travers ton toit en tôles rouillées. Tu te fais un sang d’encre pour Fatou qui a été arrachée aux bancs d’école et mariée de force, pour Yoma qui ne pense qu’à traverser la méditerranée pour échapper au chômage, pour Koffi dont la famille entière a été décimée par boco haram.
Comme je comprends mon ami ! Mais je veux que tu gardes en esprit qu’une charge portée à deux pèse moins. Crois-moi, je suis assez réaliste pour savoir que nous vivons dans un monde encore trop plein d’incertitudes. C’est pourquoi je me contente juste de te demander de t’accrocher. De t’accrocher à la même lueur d’espoir que moi : celle qui est née avec notre génération.
Oui cette lueur d’espoir est née dès que toi et moi avons eu ce regain de conscience comme piqués par une mouche pour nous sortir de notre léthargie. Oui elle est née et grandit un peu plus chaque jour parce que comme moi, tu hais la violence, tu es répugné par la tendance de surconsommation qui happe notre société, tu es conscient que la terre ne digère pas le plastique que nous lui enfonçons dans la gorge, le désert prend ses aises et avance à grand pas à cause du réchauffement climatique né de nos habitudes de vie, que tu ne crois pas que la solution viendra d’ailleurs, et surtout que tu es conscient de ce que toi, Fatou, Yoma, Koffi et moi sommes la réponse aux prières de mère Afrique.
Oui il y’a encore de l’espoir parce que tu as conscience comme moi que le temps des rêves est révolu et qu’il est l’heure d’utiliser le passé et le présent pour agir sur l’avenir du continent. Agir pour une Afrique paisible et unie, pour une Afrique qui plus jamais ne dormira ventre creux, pour une Afrique rayonnante.
Alors mon ami, ce soir quand la lune pointera son nez et que les grillons s’égoïseront dans le silence, dors ! dors en paix ! Car je dirais à la brise qui m’a réveillée ce matin : Maintenant petite brise, retourne jusqu’à mon ami. Susurre-lui ces quelques mots et reste avec lui. Oui reste avec lui pour qu’il ne se sente plus jamais seul. Car la solitude est mère de bien de peurs et je refuse qu’il vive dans la peur.
Ton amie, à mille lieux et si proche de toi.
Laurence Gnaro a récemment fêté ses 31 ans et vit à Lomé, au Togo. Elle est nouvelliste, dramaturge et blogueuse, ainsi que fondatrice et propriétaire d’un restaurant.
« L’écriture a toujours été pour moi un moyen d’extérioriser mes émotions et de faire entrer les autres dans mon univers », explique Laurence. « J’ai donc participé très jeune à plusieurs concours de poésie et ce n’est qu’en 2018 après ma participation au projet afroyoung adult porté le Goethe-Institut, en Afrique subsaharienne, que j’ai décidé de faire de l’écriture une profession. »
Laurence fait partie de la troupe de théâtre de son église et écrit des textes qui sont mis en scène et joués à des fins d’évangélisation. « À mon avis, l’écriture et l’édition chrétiennes sont encore à l’état embryonnaire au Togo », dit-elle.
Laurence se réjouit de participer à LittAfrica 2023. « Cela me permettra de m’ouvrir à d’autres horizons, d’apprendre des aînés, et aussi de partager avec des frères et sœurs d’autres pays. »